Dans une étude publiée vendredi 10 novembre, l’Insee estime que l’introduction d’un jour de carence dans la fonction publique de l’État entre 2012 et 2014 n’a pas “significativement” modifié la proportion d’agents absents pour raisons de santé. Le micro-absentéisme a certes été réduit, mais le nombre d’absences de longue durée a augmenté de l’ordre de 25 %.
Voilà une analyse qui arrive à point nommé. Alors que la réinstauration du jour de carence des fonctionnaires prévue dans le budget 2018 sera débattue en séance publique par les députés cette semaine, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) vient mettre en doute l’efficacité concrète de cette mesure sur la réduction du nombre d’arrêts maladie des agents de la fonction publique d’État.
Dans une étude publiée vendredi 10 novembre, l’organisme estime que son instauration dans le secteur public au 1er janvier 2012 par l’équipe Fillon “n’a pas significativement modifié” la proportion des agents absents une semaine donnée. Elle a revanche modifié la répartition des absences par durée, avec “moins d’absences courtes” mais “plus d’absences longues”. La journée de carence a été supprimée au 1er janvier 2014 sous la présidence socialiste dans le cadre de la loi de finances pour 2014, au motif qu’elle n’avait “pas eu les effets escomptés” et n’avait “pas permis de réduire significativement l’absentéisme dans la fonction publique”, comme le rappelait alors l’exposé des motifs du projet de texte.
Un argumentaire aujourd’hui approuvé en quelque sorte par l’Insee, qui estime à 2,91 % la part d’agents de l’État absents “au moins une partie de la semaine” en 2014 (première année pleine après la suppression), contre 2,78 % en 2013 et 2,75 % en 2012.
Micro-absentésime en partie réduit
Certes la mise en place du jour de carence dans le secteur public ne peut pas être totalement taxée d’inefficacité. Son incidence sur la réduction du “micro-absentéisme” est réelle. Pendant la période d’application du dispositif, les absences pour raison de santé de deux jours ont fortement diminué. Une chute évaluée à plus de 50 %, que l’Insee explique par “l’effet dissuasif du jour de carence sur le fait de commencer un arrêt maladie”.
Dans le détail, ces absences diminuent plus fortement pour les employés “jeunes” que pour les employés “plus âgés”, indique l’étude, sans donner plus de détails. Cette baisse est aussi “plus marquée” pour les personnes travaillant peu de jours en semaine et pour les femmes. Et ce à l’inverse des hommes, qui augmentent “significativement” sur la période donnée leurs absences d’une semaine à trois mois, ajoute l’Insee, sans fournir là non plus d’explication.
La part des absences d’une journée ne change pas, en revanche. Pour “éviter une retenue de salaire due au jour de carence”, les agents “peuvent préférer substituer” leurs arrêts maladie sous forme de jour de congé annuel, de RTT ou d’autorisation d’absence.
Absences longues en hausse de 25 %
Mais c’est surtout du côté des absences de longue durée que l’efficacité du jour de carence peut être questionnée. Le nombre d’absences pour raisons de santé d’une semaine à trois mois (durée jusqu’à laquelle les agents de l’État en arrêt maladie reçoivent leur salaire) aurait ainsi augmenté de 25 % “sous l’effet de la mesure” entre 2012 et 2013.
Ces résultats sont “en cohérence avec les rares études empiriques sur le sujet”, ajoute l’Insee, “qui tendent à montrer que la présence d’un jour de carence décourage la prise d’arrêts, mais qu’en cas d’arrêt, celui-ci dure plus longtemps”.
L’occasion pour l’organisme de citer l’exemple suédois, où la suppression d’un jour de carence dans le secteur privé en 1987 avait entraîné une augmentation de la prise d’arrêt maladie mais aussi la baisse de la durée de ces arrêts. En revanche, lors de son rétablissement en 1993, une étude de cas avait établi que les agents de la poste suédoise “avaient pris moins d’arrêts mais davantage d’arrêts de plus de quinze jours”.
Poids des pénalités
Trois éléments explicatifs de ce paradoxe sont avancés par l’étude de l’Insee. Tout d’abord, le coût “fixe” qu’engendre le jour de carence à chaque prise d’arrêt maladie. L’agent “peut trouver prudent de prolonger son arrêt pour éviter une rechute synonyme d’une nouvelle pénalité”. Ensuite, pour des raisons financières et à cause desdites pénalités, des agents hésitent à s’arrêter de travailler pour se soigner, ce qui conduit à la dégradation de leur état de santé et, in fine, à des arrêts plus longs.
L’étude estime enfin que l’allongement des absences pourrait être la résultante du comportement même de certains agents qui ont “le sentiment d’être injustement mis à contribution” par l’introduction d’un jour de carence, ce qui les conduirait “par réaction, à prolonger un peu cet arrêt”.
L’Insee ne donne en revanche aucune indication sur l’effet financier du rétablissement du jour de carence et sur le niveau des économies qui pourraient en découler. Dans son évaluation préalable des articles du projet de loi de finances pour 2018, le gouvernement estimait quant lui que la mesure serait “porteuse de gains d’efficience”, avec pas moins de 270 millions d’euros d’économies attendues en année pleine (108 millions pour la fonction publique d’État, 100 millions d’euros pour les collectivités locales, 50 millions au titre de la Sécurité sociale et 13 millions pour les opérateurs de droit public)